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Interview de l’auteure, Sabine Revillet

Sabine Revillet, auteure de la pièce Ode à Médine

©Julie Peiffer

Maité Cotton en répétition dans la pièce Ode à Médine de Sabine Revillet

L’ECRITURE.

 
Quel fut le déclencheur de l’écriture de la pièce Ode à Médine ?
 

J'ai eu envie d'écrire suite à ce crime d'honneur qui s'est déroulé en Turquie en 2010 dans la communauté kurde car j'étais scotchée littéralement, je ne parvenais pas à comprendre, à mettre des mots sur cet acte. J’étais marqué, au delà de l'horreur et de l'impensable, c'est qu'il n'existait aucune photo de cette jeune fille, rien, pas de visage, c’était l'élément déclencheur de l'écriture, j'ai poussé cette absence, dans la pièce, dans l’écriture, jusqu'à faire disparaître tout ce qui aurait pu lui appartenir, pour effacer toutes les traces, preuves de son existence. Comme une existence reniée dès sa mise au monde.

Médine Memi n'avait pas le droit d'aller à l'école, pas le droit d'évoluer, grandir, parler tout simplement. A l'adolescence, c’est un état de transformation, rébellion nécessaire, d’âge où on se cherche, où le corps est bouleversé physiologiquement, chahuté, où on a besoin de se frotter à l'autre, se confronter. Nier ces désirs-là, cette évolution, cet appel à la connaissance, c'est conduire ces jeunes à la folie et à l'explosion.

 

En écrivant la pièce, vous souvenez-vous d’avoir eu un objectif en tête ?
 

Je désirais aborder cette histoire par le prisme de la mère, alors tout est raconté de son point de vue, car cela m'intéressait de creuser de ce côté-là, sortir de ce cadre victime / bourreau, appréhender l'attitude de celle à qui on ne donnait pas la parole, imaginer comment celle-ci pouvait continuer à vivre... comment avait-elle accompagné ce passage à l'acte, ce crime, comment s'était-elle « débranchée » de la réalité. Pour moi, c'est un mystère absolu, c'est dans ce coin-là que j'ai eu envie de gratter. Alors évidemment je n'ai pas du tout abordé le sujet de manière frontale, j'en suis incapable. Je me suis décalée, j'ai décalé la parole de la mère, qui apparaît dans son monde, enfermée. Donc tout naturellement la voix est devenue plus poétique, irréaliste. C'est devenu dans la pièce un personnage farfelu, indiscernable. J'ai tourné autour d'elle pour voir avec ses yeux et je l'ai vu décousue, comme une poule sans tête, en dehors de l'évènement. Sa voix est au centre, puis à la fin, elle s'efface, comme si toute cette histoire n'avait pas eu lieu, comme si sa fille n'avait pas existé, comme si la mère n'avait pas accouché, et donc la mère se retire, et un narrateur prend la place pour raconter l'histoire. Et cette histoire a marqué de son empreinte toute la ville. Nous sommes reliés par le pire et le beau. Là, c'est la naissance d'un monstre à la toute fin : la mère.

 

 

 

Comment s’est passé l’écriture de la pièce ? Le sujet étant particulièrement douloureux, comment avez-vous pris vos distances émotionnellement ?
 

L'écriture a été rapide, j'étais étonnée de ce que j'écrivais qui était au départ très éloigné du fait divers. La mère se raconte. On la découvre avec ses obsessions : ses plantes. Je me rappelle avoir lu le texte à un ami et nous avons ri. (tout au moins au début du texte, ri beaucoup) car dans ce début l'évènement n'a pas lieu mais il est imminent. La tragédie est en train de se coudre.

J'ai deux versions, une avec la voix de Médine et la voix du père qui apparaissent comme des personnages à part entière et l'autre où la mère seule parle et prend en charge les autres voix.

 

L’ENGAGEMENT.

 

Votre travail d’auteur est très engagé, pourquoi ?

A partir du moment où on écrit, il y a un engagement, qui est plus ou moins affirmé. On écrit sur et pour ce qui nous tiens à cœur, et qu’on a envie de transmettre de manière très consciente ou non.

Je suis traversée par ce qui m'entoure, ce que j'observe. Mais je ne m'inscris pas dans une parole politique, j'aborde plutôt de l'intime, même si cela peut avoir une résonance politique. Je décris surtout un état de la société, une incapacité chez les êtres à vivre ensemble. Mes personnages ne savent pas comment se comporter, ils sont maladroits, à côté et sont souvent dans l'excès, le côté burlesque ressort, le côté invraisemblable et absurde, même dans le pire.

 

Les conditions de vie de la femme dans le monde, ne serait-il pas un combat en filigrane de tous vos textes ?

Non pas du tout. Que ce soit dans L'Emission, Les gens que j'aime, Justin, La Méthode, La queue du lézard, mes précédents textes, je parle plutôt de la société en général, de mon époque, de l'identité, de la difficulté à se construire, de la course à la réussite. Je ne mène pas de combat dans l'écriture, je me laisse plutôt guider par elle, les sujets viennent, évidemment je les choisis, mais je peux dire que souvent j'écris et je regarde où ça m'emmène. Pas là où je l'attends forcément.

 

Que souhaiteriez-vous déclencher auprès de vos lecteurs et spectateurs ?
 

Que les lecteurs soient touchés, se sentent concernés par ce que j'écris, qu'il y ait discussion autour de mes pièces, si j'ai pu écrire un petit bout d'eux-mêmes, ou les faire réagir, même dans l'énervement, quand les avis sont tranchés, et surtout pas tièdes, j'ai atteint mon objectif. Mes plus grandes satisfactions sont quand les lecteurs viennent me confier qu'un des personnage ou une histoire les touche intimement, leur rappelle un coin secret de leur enfance, cela m'est arrivé surtout dans Fissure de sœur, publié chez Editions théâtrales, qui aborde le sujet de la maltraitance, l'histoire d'une petite fille qui se dédouble pour survivre, s'invente un double poétique.

 

Le fait divers déclencheur de la pièce Ode à Médine s’est passé en Turquie, pourquoi ne pas avoir situé la pièce dans le temps et géographiquement ?
 

Parce que je voulais que tout le monde puisse s'emparer de cette histoire, voilà pourquoi je n'ai pas contextualisé le texte et je ne peux pas aborder les choses trop abruptement, j'ai besoin de contourner les pires situations par le comique ou l'absurde dans le désir de mélanger les émotions, quand on ne sait pas si on doit pleurer ou rire de ce qui est raconté.

 

Vous avez présenté la pièce au Festival d’Avignon en 2015, que retenez-vous de cette expérience ? Comment la pièce a t-elle été reçu ? 
 

Le débat qui a suivi la pièce, l'échange avec le public au Théâtre du Girasole était passionnant. Quelqu'un dans la salle, nous disait qu'il avait connu des gens qui avaient commis des crimes d'honneur et que tout était très complexe. Il n'y a pas qu'un criminel, il y a celui qui tue et ceux qui poussent à « laver la faute », laver l'honneur. Celui qui tue c'est souvent le père, le frère qui mettent de côté leurs sentiments pour écouter la voix de la communauté qui est la plus forte. Ils tuent malgré l'« amour », la voix de la communauté dépasse celle de l'amour. ils tuent par devoir et c'est aussi contre eux-mêmes. C'est ce qui ressortait de la discussion

 

LA PIECE.

 

Que pensez-vous du choix et du jeu de la comédienne ?

Maïté Cotton, comédienne que j'ai découverte sur ce projet, est surprenante, elle peut faire passer toutes les émotions, elle a un grand répertoire, une grande force. Sur scène, on la regarde et elle est là, pleine et entière. Elle prend toute la place.

Elle est subjuguante.

 

Que pensez-vous du parti prix minimaliste de la mise en scène ? Qu’apporte-t-il au texte ?
 

Stéphanie Correia, la metteuse en scène est une artiste très engagée, elle sait ce qu'elle veut et elle va au bout. Elle ne fait aucun compromis, rien. Je l'admire pour ça. C'est important, elle propose une lecture du texte différente de la mienne, plus radicale, directe. Cela m'apporte un autre éclairage sur le texte. Elle a incorporé les voix de Médine et celle du père qui sont prises en charge par Magda la mère, moi je n'aurai pas su comment porter ces autres voix sur scène, je les avais même enlevées, quand j'avais fais une lecture de ce texte dans le cadre de L'habitude de la liberté, marathon de lectures d'autrices organisé à Confluences.

Stéphanie Correia propose une mise en scène dépouillée, qui va à l'essentiel, aucune fioriture, toute l'action est concentrée sur cet événement inéluctable, comme un destin tracé d'avance. D'ailleurs Médine Memi savait que la mort l'attendait, elle a essayé de se « sauver » en allant voir plusieurs fois la police, on l'a ramenée à chaque fois chez elle.

 

Quel avenir souhaitez-vous pour Ode à Médine ?
 

Que les gens viennent et surtout qu'il y ait des échanges après le spectacle.

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